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Propagande, les nouveaux manipulateurs
Vidéo numérique
Comment le laisser-faire sur les réseaux sociaux permet aux nationalismes populistes de propager la haine et le mensonge. Cette enquête dévoile la partie immergée de l'iceberg fake news dans quatre pays "écoles" : États-Unis, Inde, Brésil et Italie.
Il y a quinze ans encore, on percevait les réseaux sociaux comme un ferment démocratique nouveau qui, en favorisant la diffusion de l'information et la communication horizontale entre citoyens, aiderait les peuples à briser leurs chaînes, de l'Europe orientale au monde arabe. L'histoire s'est écrite autrement : l'assaut sur le Capitole des partisans de Donald Trump, le règne chaotique de son homologue Jair Bolsonaro, les offensives ciblant les musulmans dans l'Inde de Narendra Modi ou le succès fulgurant des mots d'ordre racistes du leader de la Ligue italienne Matteo Salvini ont mis en évidence le pouvoir dévastateur à l'échelle planétaire des appels à la haine et de la désinformation qui circulent en temps réel sur les médias sociaux. Au travers de ces quatre cas d'école, Philippe Lagnier et Alexandra Jousset dévoilent de façon précise et détaillée comment, et avec qui, fonctionne cette vaste fabrique de propagande si difficile à contrer. Explorant les coulisses de ce mouvement qui a pour logiciel commun la dénonciation virulente du "mondialisme", des élites ou du socialisme, sur fond de xénophobie et de conservatisme sociétal, leur enquête montre comment, sous l'égide de conseillers de l'ombre experts en propagande numérique, des armées de hackers, de sondeurs d'opinion et de spécialistes du big data s'emploient à attiser les colères dormantes.
Les ingénieurs du chaos
Tels Luca Morisi, très discret conseiller de Matteo Salvini, ou Arvind Gupta, architecte de la foudroyante force de frappe en ligne du BJP, le parti nationaliste hindou de Narendra Modi, ces "ingénieurs du chaos", parmi lesquels figurent aussi les trois fils de Jair Bolsonaro, ou l'ex-conseiller de Trump Steve Bannon, jouent sur le "microciblage" des peurs, des frustrations et des fragilités de millions d'individus, identifiées par leurs multiples traces laissées en ligne. Même si les vidéos sont fabriquées de toutes pièces, même si la violence des mots et des images se concrétise parfois en lynchages et en émeutes, Facebook, Instagram et désormais Whatsapp continuent de relayer massivement ces messages sur mesure. Politiquement comme en termes commerciaux d'audience, cela marche : les sociétés se polarisent, la vérité devient toute relative et les tribuns progressent. Philippe Lagnier et Alexandra Jousset ont rencontré sur trois continents des artisans, des "petites mains" et des convertis de cette nouvelle propagande, mais aussi des cybermilitants, des journalistes et des chercheurs qui la combattent activement. En élucidant les tenants et aboutissants d'un phénomène opaque et omniprésent qui sape les fondements mêmes de la démocratie, ils démontrent que celui-ci ne relève pas d'une quelconque fatalité postmoderne, et qu'on peut le combattre. Ils soulignent aussi combien l'inertie volontaire des Gafam – illustrée entre autres par le silence éloquent de Mark Zuckerberg, patron de Facebook et de Whatsapp, sur sa responsabilité dans l'attaque du Capitole face à la commission d'enquête américaine – constitue l'un des cœurs du problème.